LE TAO TE KING

Le Tao-te-king (daodejing) est un bref ouvrage qui expose les idées philosophiques, mystiques, sociales et politiques qui forment la base de la pensée taoïste.

Attribué à Lao-tseu, il est l’un des cinq grands Classiques chinois et, après la Bible, le livre le plus traduit au monde. La compréhension n'en est pas toujours aisée, aussi l'étudions nous en groupe.

On dit qu’il fut dicté par Lao-tseu au gardien de la frontière de l’Ouest quand il allait quitter le pays.

Voici comment Bertold Brecht nous raconte cette légende dans ses Kalendergeschichten (Histoires d’almanach) 1948 :

« Agé de soixante-dix ans et déjà bien fatigué,
le maître aspirait à la tranquillité,
alors que dans le pays, le déclin du bien,
une fois de plus, annonçait l’avènement du mal.
Aussi il laça ses chaussures.
Et mit dans un sac ce dont il avait besoin :
peu de choses en vérité. Juste ça et ça.
La pipe qu’il aimait fumer le soir
et le petit livre qu’à toute heure il lisait.
Un morceau de pain blanc.

Il se réjouit en regardant une dernière fois la vallée,
puis l’oublia quand il aborda le sentier montagneux.
Le buffle, satisfait, broutait çà et là un peu d’herbe tendre
tout en avançant, le vieillard sur son dos.
De toutes façons, celui-ci trouvait qu’il allait bien assez vite pour lui.

Le quatrième jour du voyage entre rocs et rocs
ils furent arrêtés par un douanier :
— Quelque chose à déclarer ? — Rien.
Mais le garçon qui conduisait le buffle dit : — C’est un maître.
Et le douanier comprit.

Touché par cette réponse, l’homme
lui demanda : — Et il t’a enseigné quelque chose ?
Le garçon répondit : — « Que la fluidité de l’eau,
avec le temps, est victorieuse de la pierre ».
Vous comprenez : le dur est vaincu.

Pour ne pas perdre les dernières lueurs du jour
le garçon aiguillonna le buffle.
Et tous trois disparurent bientôt derrière un pin obscur.
Mais, soudain, notre homme se précipita
et leur cria : — Eh, vous, attendez !

— Qu’en est-il de cette eau, Vénérable ?
Le Vieillard lui demanda : — Cela t’intéresse ?
L’autre répondit : — Je ne suis qu’un douanier certes,
mais savoir qui peut vaincre qui, oui cela m’intéresse.
Si tu le sais, dis-le moi !

Ecris-le pour moi ! Dicte-le à ce garçon !
Tu ne peux emporter avec toi chose pareille.
Viens chez moi, il y a du papier et de l’encre,
et aussi de quoi dîner : j’habite là-bas.
Est-ce que ça te convient ?

Le vieil homme lui jeta un regard par-dessus l’épaule :
veste rapiécée, pieds nus,
un front tout en rides.
Ah, il n’avait pas vraiment l’air d’un vainqueur cet homme-là
Et il murmura : — Toi aussi ?

Il avait trop vécu pour repousser une demande
aussi poliment faite.
Aussi répondit-il à voix haute : — Qui fait une demande,
mérite réponse. Le garçon ajouta : — Il commence à faire froid. Une pause nous ferait du bien.

Le Vénérable descendit du buffle.
Sept jours durant ils furent occupés à écrire.
Le douanier leur apportait à manger (et ne jurait plus qu’à voix basse quand les contrebandiers approchaient).
Ils finirent enfin.

Au matin du huitième jour, le garçon remit à l’homme
quatre-vingt-un aphorismes.
Puis, le remerciant de son hospitalité,
iIs tournèrent au coin du sapin et disparurent derrière les rochers.
Dites-moi : peut-on être plus courtois ?

Ne louons donc pas seulement le Vénérable
dont le nom orne le livre !
Puisqu’au Sage il faut dérober la sagesse,
remercions aussi celui qui gardait le passage :
c’est lui qui en fit la demande. »


[Traduction GG]. On trouvera aussi une traduction dans : Bertolt Brecht, Histoires d'almanach, L'Arche, 1983 et Bertolt Brecht, Poèmes Tome 4 (1934-1941), L'Arche, 2000.


Ce serait ainsi que Lao-tseu nous aurait laissé le Tao-te-king, composé de 5000 mots dit-on. Cinq mille mots qui résonnent encore et nous invitent à réfléchir. Ecoutons en quelques uns :


Le tao que l’on peut nommer n’est pas l’éternel tao
Le nom qu’on peut lui donner n’est pas son éternel nom.
Sans nom : de l’univers, il est le principe.
Avec nom : de toutes les choses la mère.
TTK, 1

Il y avait quelque chose d’indéterminé,
Qui existait avant le Ciel et la Terre,
Quelque chose de silencieux, d’invisible,
D’inaltérable, d’indépendant,
Toujours et inlassablement en mouvement.
De l’Univers, il peut être la Mère.
Ne connaissant pas son nom, je l’appelle Tao.
TTK, 25

Pratique le non-agir,
fais le non-faire,
goûte le sans-saveur,
considère le petit comme le grand
et le peu comme beaucoup.
Attaque le difficile
par où c'est facile,
accomplis une grande œuvre
par de menus actes.
Sous le ciel, le difficile commence par le facile ;
Sous le ciel, le grand commence par l’infime.
TTK, 63

J’ai trois trésors
que je garde et chéris.
Le premier est amour
Le second, frugalité
Le troisième, humilité.
TTK, 67


Pour une première approche, voici une traduction élégante et poétique en format pratique.
Le texte original en regard, permet, même si l’on ne connaît pas le chinois, de repérer la répétition de certains mots ou expressions et d’entrapercevoir le rythme interne du texte.

François Houang et Pierre Leyris, Tao Te King, Seuil, 1979.